Prévention de l’émigration clandestine des jeunes

C’était le mardi 30 juillet 1999. Yaguine, 14 ans, et Fodé, 15 ans, ont disparu. Personne ne sait où ils sont. Chez la grand mère de Yaguine ? Chez un ami de Fodé ?
Le papa de Yaguine trouve une lettre dans la chambre de Yaguine : “Papa, ne t’inquiète pas. Je vais chez ma maman à Paris…”. Ensuite, il trouve le brouillon de la lettre que l’on retrouvera le 2 août sur le corps des 2 jeunes retrouvés morts de froid dans le train d’un atterrissage d’un avion de la Sabena. Cette lettre était adressée aux “membres et responsables d’Europe”, pour leur crier “au secours” et les implorer de “faire une grande organisation efficace pour l’Afrique pour nous permettre de progresser”.

>> Relire le message de Yaguine et Fodé

C’était le mercredi 8 janvier 2020…21 ans plus tard, l’histoire se répète.  Comme des milliers de jeunes africains qui tentent l’émigration clandestine chaque année, Laurent Barthélémy, ivoirien, a voulu rejoindre l’Europe. Aveuglé par ce rêve d’El Dorado, son ingéniosité et son énergie pour monter à bord de cet avion à tout prix lui ont finalement coûté la vie. Il est mort à l’âge de 14 ans, n’imaginant pas que le froid et l’altitude le tueraient à coup sûr. Était-ce vraiment de l’inconscience, ou bien un geste désespéré ?

L’histoire se répète. On se rappelle également le corps retrouvé à Londres, tombé du train d’atterrissage d’un avion de Kenya Airways, du jeune actif kenyan Paul Manyasi en juillet dernier. Aux mêmes causes les mêmes effets. La jeunesse africaine est en désarroi, et nombreux sont les jeunes qui continuent à rechercher ailleurs des conditions de vie dignes au risque de leur vie.

Aucune femme, aucun homme ne fait le choix d’émigrer volontairement vers l’inconnu, sans garantie de trouver un toit, un revenu, des conditions de vie décentes. En général, les gens émigrent parce qu’ils ne voient pas de futur chez eux. Les jeunes africains sont-ils condamnés à vivre sans autre ambition que celle d’émigrer ?  Et pour nombre d’entre eux, à risquer leur vie à cet effet, ou à choisir de s’engager dans des causes radicales ? Celles et ceux qui réussissent sont-ils les nouveaux « héros » de leurs communautés, qui souvent ignorent les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles ils sont contraints à vivre ? La question se pose en ces termes.

Pourquoi l’avenir du contient africain nous concerne-t-il tous ?

Rappelons-nous que d’ici 2050, il y aura 2,7 milliards d’habitants sur le continent africain et que ce continent offrira donc à l’humanité un jeune sur quatre. Ce sont donc des acteurs déterminants de notre avenir commun : acteurs du développement de leur pays, acteurs de changement notamment dans les défis climatiques,…

Les flux migratoires, naturels et bénéfiques ?

Les études contemporaines d’archéopaléontologie, fondées sur la génétique, confirment que de grand mouvements migratoires existent depuis la préhistoire, de l’Afrique vers l’Europe par exemple, qu’ils se sont poursuivis durant l’Antiquité et après la Renaissance avec notamment la conquête de l’Amérique par les États européens.

La littérature s’accorde pour dire que l’immigration est très utile. Les économistes sont traditionnellement les grands défenseurs de l’arrivée de migrants sur le marché du travail.

IDAY soutient également les actions menées par d’autres organisations sur la nécessité de répondre au droit et à la liberté d’aller et venir dans un cadre légal et sûr pour les populations du « Sud » au même titre que les populations du « Nord ».

L’émigration clandestine des jeunes : comment en parler ?

Quelques données sur l’éducation dans le contexte africain :
> Concernant l’éducation, l’Afrique subsaharienne est la région qui compte le plus d’enfants et d’adolescents non scolarisés (respectivement 31 millions, soit 52% du total, et 24 millions, soit 39%) .

> En 2018, la Banque Mondiale rapporte que malgré les efforts incontestables pour augmenter les chiffres de scolarisation, l’apprentissage ne suit pas. Les résultats des élèves en Afrique subsaharienne sont alarmants et les populations vulnérables sont les plus touchées (enfants pauvres et jeunes filles).

> Une situation sanitaire le plus souvent catastrophique et l’absentéisme des enseignants influencent directement et négativement la qualité de l’éducation.

> L’Afrique reste le dernier continent où ni le nombre de pauvres ni celui des jeunes analphabètes ne diminuent significativement. Le revenu moyen en Afrique stagne à 1/4 du revenu moyen mondial et à 1/9ème du revenu moyen des pays occidentaux selon l’OCDE en 2016.

Tout cela explique, en partie, le désir irrépressible d’émigration des jeunes Africains vers les pays jugés plus riches et protecteurs des droits de la personne.

L’émigration clandestine à l’origine du réseau IDAY ?

IDAY est un réseau africain qui s’intéresse aux causes de l’émigration et est interpelé par les conséquences graves et souvent irréversibles de l’émigration clandestine. IDAY célèbre ce 1er décembre à Flagey les 20 ans de la mort de Yaguine et Fodé qui ont inspirés par leur message la création du réseau.

Le 2 août 1999, ces deux jeunes Guinéens, Yaguine Koita et Fodé Tounkara sont retrouvés morts dans le train d’atterrissage d’un avion de la Sabena à Bruxelles. Ils portaient sur eux un message à destination de l’Europe.
Ils se sont sacrifiés pour attirer l’attention du monde sur le sort dramatique de la jeunesse africaine et de tous ces jeunes qui viennent mourir aux portes de l’Europe à la recherche de conditions de vie dignes.

Ce message est à l’origine de la création du réseau d’abord en Guinée et maintenant dans 20 pays d’Afrique.
IDAY se pose la question du pourquoi une partie de la jeunesse africaine pense qu’elle n’a pas d’autre choix que de risquer sa vie pour venir chercher chez nous un avenir meilleur ? Le contexte géopolitique mondial participe bien sûr aussi aux raisons qui poussent les jeunes à quitter leur pays : effet de la mondialisation et aberrations d’accords commerciaux qui influencent négativement les économies locales, politiques prédatrices qui creusent les inégalités, etc…

Mais une des raisons de l’immigration clandestine se trouve également, selon nous, dans le fait que le processus susceptible de répondre globalement, durablement et équitablement aux besoins des populations est trop faible. Ce processus est celui qui consiste à réunir les 3 piliers essentiels au développement de toute société autour d’un dialogue constructif et d’un ensemble d’actions collectives : les gouvernements, la société civile et le secteur privé.

Quelle est la réponse d’IDAY ?

IDAY offre aux organisations locales de se rassembler en réseau. Cela :
> permet à la société civile de s’organiser et de se renforcer ;
> encourage les autorités à s’impliquer dans les actions pensées localement ;
> augmente l’efficacité de l’aide étrangère en adoptant les principes de philanthropie moderne de développement ;
> améliore la qualité de l’éducation grâce aux actions menées ;
> sensibilise les jeunes aux risques de l’émigration clandestine et les encourage à être acteurs de changements pour leur avenir.

Quel est le rôle de la société civile locale et de la jeunesse africaine ?

Ces démocraties « avancées » qui attirent ces jeunes ne sont pas sans savoir qu’il est impératif de soutenir les efforts des gouvernements des pays d’origine par le truchement d’une coopération plus adaptée et efficace, d’une plus grande cohérence entre les objectifs de développement et les politiques économiques au plan international, et d’une assistance plus vigoureuse pour lutter contre la corruption dans la gestion des ressources nationale.

Le contexte géopolitique mondial participe bien sûr aux raisons qui poussent les jeunes à quitter leur pays : effet de la mondialisation et aberrations d’accords commerciaux qui influencent négativement les économies locales, politiques prédatrices qui creusent les inégalités, le poids parfois insoutenable de la dette et les politiques d’austérité ou de privatisation, etc…

La lutte contre la corruption est essentielle pour que le développement socio-économique puisse avoir lieu. C’est un cancer qui mine le service public et aggrave les violations des droits humains, empêchant des millions d’enfants d’aller à l’école, et de femmes d’avoir droit aux soins de santé. La corruption n’est pas seulement un problème éthique. Débridée, elle constitue un frein au développement, une menace sur la stabilité et la crédibilité des institutions publiques et privées.

Une économie naissante a besoin d’institutions fortes, de services publics efficaces et d’un gouvernement responsable. Les jeunes ont besoin de travailler et de croire en l’avenir de leur pays.

IDAY a comme objectif d’améliorer la qualité de l’éducation de la jeunesse africaine afin de l’outiller pour prendre part au développement de son continent. L’éducation de qualité est un droit pour lequel les membres du réseau IDAY se mobilisent à travers diverses actions et initiatives. Elle devient alors une force permettant à la jeunesse africaine de répondre aux enjeux auxquels elle est exposée.

L’Afrique dispose des ressources nécessaires, ce sont leur allocation et leur utilisation qui doivent changer et la société civile locale a un rôle moteur à jouer pour accompagner ce changement.
Les membres du réseau IDAY, dans chacun des 20 pays qui le composent, identifient ensemble les causes des dysfonctionnements en matière d’éducation dans leur pays et constituent un plaidoyer afin de sensibiliser leurs autorités sur ces questions.

Le dialogue et la confiance entre les citoyens et leurs gouvernements sont la pierre angulaire du développement et du respect des droits fondamentaux. Conscient de cela, le réseau interpelle les décideurs et mène des actions pour que chaque enfant et jeune en Afrique jouisse de son droit à une éducation de base de qualité et gratuite.

Nous pensons que l’aide étrangère devient efficace lorsqu’elle permet aux locaux de mettre en place leurs projets/actions et que, forts de leurs résultats, ils mènent ensemble un dialogue constructif avec leurs autorités afin, qu’ensemble, ils dessinent l’Afrique de demain.

La société civile s’organise : est-ce que cela fonctionne ?

Suivent 3 exemples d’actions mises en place à petites, moyennes et grandes échelles dans lesquels la société civile locale s’est organisée pour aboutir à des recommandations communes qui ont été prises en compte par leurs autorités.

Un exemple à l’échelle d’un pays, le Togo :

Une association membre du réseau a identifié un problème récurrent dans les villages. Les villageois désirent adopter les enfants abandonnés ou orphelins pour éviter qu’ils ne migrent vers les bidonvilles de la capitale. Une activité génératrice de revenus a été mise sur pied à partir des compétences des villageois. Dans mon exemple, ils cultivent le manioc. Une aide étrangère a été sollicitée pour louer un champ communautaire, une presse et les produits dérivés du manioc sont vendus sur les marchés afin de pouvoir soutenir les frais scolaires et quotidiens des orphelins. Les autorités locales ont été encouragées à soutenir cette activité dans laquelle toute une communauté a été mobilisée, qui est génératrice de revenus et qui devient financièrement autonome entre 3 à 5 après le démarrage du projet. Et elles ont mis à disposition du village un champ communautaire plus grand. Le village a obtenu le statut de coopérative et a maintenant accès à des formations dispensées par le gouvernement togolais.

Un exemple à l’échelle d’une région, la protection et la formation des travailleurs domestiques en Afrique de l’Est :

1 million d’euro, c’est la somme confiée par l’UE à 14 associations membres du réseau qui souhaitaient travailler ensemble une thématique jusque-là peu connue : la protection des enfants et jeunes travailleurs domestiques.

Le projet a permis de mettre en lumière les problématiques spécifiques liées aux enfants et jeunes travailleurs domestiques. Il a le mérite d’avoir accru la compréhension de l’importance de les protéger et de s’occuper de leur sort.

Il a contribué à l’accroissement de la conscience des travailleurs domestiques, de leurs employeurs, des familles, des communautés et des autorités locales pour plus de protection sociale et légale.
En termes d’impact, ce projet a commencé à produire des changements remarquables.

Un exemple à l’échelle du continent, la lutte contre le paludisme en Afrique :

Le premier c’est un exemple qui concerne la lutte contre le paludisme. Comme vous savez le paludisme c’est une maladie mortelle qui tue encore aujourd’hui un enfant toutes les deux minutes. C’est 425 000 cas de décès par an et principalement en Afrique. 210 millions de cas de malaria, de paludisme, et c’est une maladie qui pèse très lourd sur le PIB des pays.

Il existe une plante qui permet de guérir et de prévenir le paludisme. Cette plante s’appelle l’Artemisia annua. Les Chinois l’utilisent depuis plus de 2000 ans contre la malaria. C’est un membre au Kenya qui a découvert ses qualités répulsives, préventives et curatives contre la malaria. Il l’a intégré dans des potagers scolaires, a appris aux jeunes à la cultiver, et à l’utiliser sous forme de tisane. L’absentéisme des enseignants et des élèves a diminué de façon significative, les frais médicaux ont dégringolé : les résultats ont été spectaculaires tant sur la santé que sur la qualité de l’éducation des enfants.

La force du réseau a opéré et de nombreux membres développent des projets d’Artemisia depuis 10 ans et les autorités s’impliquent dans les projets à différents niveaux : Ministre de l’Education au Cameroun encourage la diffusion d’un livre pour enfant qui parle de la plante (culture, posologie,…) / Autorités locales en Ouganda qui, suite aux résultats spectaculaires dans 7 écoles, soutiennent la propagation dans les 152 écoles du district / Ministre de la Santé au Rwanda qui organise la distribution des plants d’Artemisia à chaque famille rwandaise / …..

N’est-ce pas un bel exemple d’une solution peu couteuse et locale qui dans un cadre officiel se réplique à grande échelle ?
Non, les gouvernements africains ne sont pas tous corrompus : nous avons des exemples concrets qui montrent qu’un dialogue constructif entre la société civile et les autorités mène à des décisions majeures notamment au niveau des cadres légaux.

Brochure “Ces Charités qui tuent, ensemble vers une philanthropie de développement moderne”

En 2017, IDAY a publié une brochure Ces charités qui tuent, ensemble vers une philanthropie de développement moderne de 130 pages. Le document a pour but de présenter le constat fait par IDAY et de nombreux experts internationaux sur l’efficience et l’efficacité de la solidarité internationale. L’objectif est de sensibiliser ses lecteurs aux enjeux liés à la coopération au développement et de placer la discussion sur la place publique afin d’ouvrir un vrai débat démocratique.

L’aide publique au développement accordée à l’Afrique en 2016 s’élève à 22,8 milliards d’euros selon l’OCDE. On est en droit de se poser alors la question de l’efficacité et l’efficience d’un tel dispositif.
Malgré la hauteur de l’enveloppe attribuée par les pays riches aux pays dits pauvres, nous avons le sentiment que ces pays « ne décollent pas ».

Ce qu’en dit la littérature :
> Dans le schéma classique d’aide au développement, la communication va du haut vers le bas. Les donateurs privés ou publics choisissent des pays d’intervention, des thématiques précises et des populations cibles. Ainsi les stratégies évoluent en fonction des décideurs politiques et ne permettent pas de vision sur le long terme. Elles sont aussi bien souvent loin des réalités du terrain et excluent du processus décisionnel les citoyens des pays bénéficiaires.
> Certains auteurs disent que l’aide privée ou publique se substituerait aux actions que devraient réaliser les gouvernements, ce qui encourage la société civile à venir mendier auprès des donateurs généreux et la jeunesse africaine à vouloir échapper à un avenir peu encourageant.
> Cet effet de substitution serait donc particulièrement nocif, il permet aux gouvernements de dévier les fonds locaux destinés à l’éducation et aux soins de santé vers d’autres finalités…

L’aide étrangère augmente les ressources disponibles des gouvernements africains qui du coup ne doivent pas établir avec leurs citoyens un système dans lequel les uns alimentent le budget de l’état que les autres utilisent pour développer des services et des institutions qui permettent de développer ensemble leur économie.

Conseils pour améliorer l’efficience de l’aide

  • >  Agir localement, penser globalement
  • >  Écouter d’abord
  • >  Servir plutôt que promouvoir son propre agenda
  • >  Bâtir sur les forces locales potentielles
    > Concevoir des projets non isolés mais reproductibles, impliquant une reconnaissance des droits fondamentaux par les gouvernements et une association avec les entreprises
    > Chercher les solutions les moins coûteuses minimisant l’apport extérieur
    > Privilégier les soutiens aux coûts structurels
    > Renforcer la responsabilité collective
    > Assurer une gestion comptable et financière saine
    > Veiller à la durabilité de l’opération
    > Arrêter de mesurer la performance par les montants déboursés
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